Les codes de calcul...

 

Préambule

L'idée de cette page m'est venue suite à une journée passée à l'Ecole des Mines d'Alès où Jean-Armand Calgaro, président du CEN/TC 250 (Comité Européen de Normalisation) faisait une conférence. Il s'occupe de l'harmonisation des codes de calcul de la construction au niveau européen.

 

En nous décrivant les différents aspects de ces nouveaux 'Eurocodes', il nous a présenté une citation d'un ancien maître de conférences en résistance des matériaux le Dr E.H. Brown...

"Structural engineering is the art of moulding materials we do not really understand into shapes we cannot really analyse, so as to withstand forces we cannot really asses, in such a way that the public does not really suspect".

 

Je l'ai traduite assez librement dans les 'news' par : le calcul de structures est l'art d'assembler des matériaux que nous ne connaissons pas très bien, selon des formes que nous ne savons pas vraiment analyser, pour résister à des forces que nous ne pouvons guère évaluer, et tout ceci à un degré que le public est loin de soupçonner.


A méditer...

 

 

Il faut aussi clarifier les termes de code et règlement. Il existe des codes de calcul [CM 66 (Construction Métallique - 1966), BAEL 84 (Béton Armé aux Etats Limites 1984), OB 71 (Ouvrages Bois 1971) et maintenant les Eurocodes (n°1 à 9)] mais pas de règlement de calcul.
Le code devient un règlement lorsqu’une loi l’impose. Les codes ne font que définir des bases de calcul pour effectuer un dimensionnement des éléments structuraux d’un bâtiment le tout avec une 'certaine' sécurité.

 

Historique

Les premiers codes utilisés par les constructeurs en bâtiment n’avaient rien de calculatoire. Le processus de construction était basé sur l’expérience, c'étaient des codes empiriques. Par contre, dès l’antiquité, les constructeurs avaient une obligation de résultats…

Le Code d'Hammourabi est l'une des plus anciennes lois écrites trouvées. Elle a été réalisée sur l'initiative du roi de Babylone, Hammourabi, vers 1730 avant J-C, gravée dans un bloc de basalte et placée dans le temple de Sippar. Plusieurs autres exemplaires ont été également exposés à travers tout le royaume.
Le Code a été déplacé vers 1200 avant Jésus-Christ dans la ville de Suse, en Iran. C'est dans cette ville qu'il fut découvert par l'expédition dirigée par Jacques de Morgan, en décembre 1901. De retour à Paris, le père Jean-Vincent Scheil a traduit l'intégralité du Code et depuis il est exposé au Musée du Louvre.

Les différents "articles" du Code d'Hammourabi fixent des règles de la vie courante. Ils régissent notamment :
La hiérarchisation de la société : trois groupes existent, les hommes libres, les subalternes et les esclaves ;
Les prix : les honoraires des médecins varient selon que les soins donnés s'adressent à un homme libre ou à un esclave ;
Les salaires : ils varient selon la nature des travaux réalisés ;
La responsabilité professionnelle : un architecte qui a réalisé une maison qui s'est effondrée sur ses occupants et ayant causé leur mort, est condamné à la peine de mort ;
Le fonctionnement judiciaire : la justice est rendue par des tribunaux et il est possible de faire appel auprès du roi, les décisions doivent être écrites ;
Les peines : toute une échelle des peines est inscrite suivant les délits et crimes commis. La Loi du Talion est la base de cette échelle.

 

Plus de détail :
http://www.businesspme.com/articles/economie/16/le-code-d-hammourabi.html

http://www.micheline.ca/doc--1730-hammourabi.htm (articles 228 à 233...)

 

Avec le développement de la résistance des matériaux (vers le XVIIIème siècle, la fameuse RDM qui donne parfois de l’urticaire à mes étudiants), les ingénieurs sont entrés dans l’ère des codes déterministes.

 

Ces codes étaient basés sur l’utilisation de coefficients de sécurité : si un élément était censé supporter une charge de traction de 500 kg, connaissant la résistance du matériau utilisé qui était par exemple de 50 kg par cm², on fixait un coefficient de sécurité (prenons 2 ici) et on imposait alors une section droite pour l’élément de : 500/50 x 2 = 20 cm².

Autrement dit, on doublait (pour un facteur 2) la section par rapport à celle qu’on pensait être la limite avant rupture.

 

En terme de vérification, l'inéquation a respecter était la suivante :

 

où on retrouve à gauche la contrainte appliquée, à droite la résistance, k étant le coefficient de sécurité.

 

 

Ces codes ont progressivement été abandonnés à partir des années 1960 car ils ont montré leurs limites en terme de sécurité justement.

En effet, ils supposent à la fois parfaitement connus les charges et le matériau, bien évidemment, mais surtout ils font abstraction de tout autre paramètre : la géométrie réelle des éléments, la façon dont ils ont été mis en œuvre (position, assemblages...), les imprécisions de modélisation, etc. Ils sont surement pertinents dans certains cas précis mais pour le calcul de structures, ils sont trop insuffisants.
En effet, un bâtiment est soumis à des charges de poids propre (notées G) et des charges variables (notées Q) qui peuvent être climatiques (neige ou vent parfois notées N et V ou S et W suivant la langue maternelle de l’ingénieur), ou d’exploitation (personnes, mobilier, stockage…). Certaines varient peu dans le temps (G par exemple), d’autres beaucoup (Q, N, S)…
Pour le calcul, tout le problème consiste à savoir quelle est la proportion de chacune à prendre en compte. Il serait stupide de compter, par exemple, la neige et le vent à leur maximum en même temps sur une toiture : un vent violent chassera la neige du toit et la répartition dépendra, entre autre, de la géométrie du versant.
De plus, la position de ces charges sur la toiture peut changer notablement la redistribution des efforts dans la structure. Lorsqu’on dimensionne les éléments, il faut donc prendre en compte le cas de charge le plus défavorable et tester toutes les positions possibles de la charge !

 

Du coup, le calcul simple (pour ne pas dire simpliste) des codes déterministes a vite montré ses limites. C’est pourquoi une étude plus rigoureuse à la fois des charges appliquées et des matériaux mis en œuvre s’avérait nécessaire. Pour cela, les constructeurs en bâtiment se sont inspirés des codes de calcul des ingénieurs de l’aviation qui étaient des précurseurs en matière de calculs probabilistes. Les Etats-Unis ont été les premiers à s'y intéresser.

 


Principe des codes semi-probabilistes

 

En France, dès le CM66, les calculs se font sur une base semi-probabiliste.

Des combinaisons d'actions tiennent compte de la variation possible de ces charges dans le temps : il y a détermination statistique de valeurs caractéristiques (indice k) et affectation de coefficients partiels de sécurité ('gamma' supérieur à 1).

Il est aussi tenu compte du taux de probabilité d'occurrence simultanée des actions, c'est le rôle des coefficients 'psi' dans les Eurocodes par exemple.

La forme la plus générale d'une combinaison d'action est alors la suivante :

 

 

Les matériaux aussi font l'objet d'une évaluation statistique de leurs propriétés. Leurs valeurs caractéristiques de résistance sont ensuite réduites par des coefficients tenant compte des imperfections du modèle, de la géométrie, du processus de fabrication, etc...

 

C'est l'ensemble de ces données qui sont prises en compte et il faut ensuite vérifier que sur tous les éléments de la structure :

 

 

où Ed sont les effets induits par les charges (contrainte dans le matériau) et Rd est la résistance pondérée.

 

Remarquons qu'il n'y a plus de coefficients de sécurité tels que définis dans les codes déterministes.

 

 

Ce qu'il faut également souligner, c'est que les combinaisons d'actions précédentes sont utilisées pour les cas courants. D'autres combinaisons prennent en compte les actions accidentelles : feu, chocs, séismes... La combinaison d'action est alors la suivante :

 

Les coefficients 'gamma' ont disparu pour tenir compte de la faible probabilité d'avoir toutes les actions à leur maximum au moment de l'accident.

 

Remarquons également que cette combinaison ne fait intervenir qu'une seule action accidentelle Ad : on ne prend donc jamais deux actions accidentelles en même temps : choc + séisme, ou séisme + incendie par exemple.


La sécurité incendie

Pour la sécurité incendie, les choses vont un peu se compliquer...

 

Il existe deux types de règlementation, celle concernant la résistance au feu des structures, et celle concernant la réaction au feu des matériaux. La première caractérise la capacité d'une la structure à résister à un incendie alors que la deuxième est intrinsèque au matériau mis en œuvre : est-il inflammable ? Il a été établi pour répondre à cette question un classement de M0 à M4 du moins inflammable au plus inflammable.

Pour le cas qui nous préoccupe, ce n'est que la première règlementation qui va nous intéresser.

 

Dans le cas de la résistance au feu, il est fait une distinction entre la stabilité au feu (temps pendant lequel la structure reste stable dans son ensemble et permet l'évacuation des personnes), le pare-feu (durée pour laquelle l’étanchéité sous charge aux flammes, gaz chauds et toxiques, est assurée), et le coupe-feu (correspondant à une isolation thermique qui définit le temps pour atteindre la température de 140 °C en moyenne et 180 °C ponctuellement sur la face opposée au feu).

 

Pour le cas de l'effondrement des tours du WTC, l'élément capital est évidemment la stabilité au feu. Comment est-elle déterminée ?

 

Pour connaître cette durée limite, il est possible de réaliser des essais sur une structure équivalente ou effectuer des calculs de résistance selon les Eurocodes.

Du point de vue du calcul, cela devient assez complexe : il faut évaluer à la fois la température du local (courbes de température fournies par le code de calcul) et l'efficacité de la protection appliquée sur l'élément considéré. Le tout permet de quantifier l'élévation de température du matériau en fonction de la forme de l'élément.

Cette température permet ensuite d'affecter un coefficient réducteur supplémentaire sur la résistance du matériau. Pour l'acier, ce coefficient peut réduire la résistance de l'élément quasiment à néant.

 

Finalement, il est refait un calcul pour vérifier la stabilité des éléments avec des combinaisons d'actions qui restent les mêmes aux coefficients 'gamma' près qui sont pris égaux à 1 (cas des charges accidentelles).

Il est possible de résumer cette procédure un peu complexe par un organigramme :

 

 

 

 

 

 

Les calculs sont une chose, mais ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est la règlementation : la stabilité au feu n'est requise que pour permettre l'évacuation des personnes et cette durée est évaluée en fractions d'heure.

En France, elle va suivant les constructions (hauteur, destination, etc...) de 0 à 2 heures ! Etonnant non ?

 

Autrement dit, il y a des bâtiments pour lesquels il n'y a pas d'exigence particulière (faible hauteur, peu de public) et d'autres pour lesquels on ne demande 'que' deux heures (immeubles de grande hauteur ou établissement recevant un public nombreux)...

Cela dit, pas de panique, même si la tenue au feu requise est nulle, la montée en température de l'acier se fait de telle façon qu'elle laisse suffisamment de temps pour évacuer les usagers.

 

 

Ainsi, s'il y avait un élément à retenir de tout cette page, c'est qu'au-delà de deux heures d'incendie, aucun bâtiment en France n'est censé être stable structurellement... En tout cas aucun calcul n'est fait en ce sens !

 

Bien sûr, ces bâtiments peuvent, dans la plupart des cas, tenir un peu plus que ces durées car les coefficients partiels de sécurité jouent leur rôle, mais il serait illusoire de croire que cette durée ira bien au delà de ces limites, surtout pour les structures métalliques très sensibles à la chaleur. Je vous laisse imaginer au bout de sept heures (cf. WTC7) et vous renvoie à la citation du Dr Brown en début de page...

 

Pour plus d'infos, un site très intéressant : http://www.acierconstruction.com/performances/incendie/index.htm